15/01/2017

2016 en 10 films (2/2)


5 / Réparer les vivants


Katell Quillévéré s’était déjà montré ambitieuse avec son précédent film, Suzanne, un drame familial qui s’étendait sur une vingtaine d’années. L’adaptation du best-seller de Maylis de Kerangal sur la greffe d’organes lui offre l’occasion de s’atteler à un récit aux points de vue multiples. La cinéaste s’en sort avec une maîtrise bluffante, aussi à l’aise dans des passages à la mise en scène poétique et lyrique que dans des segments au style plus réaliste. Les scènes d’opération du film font partie de ce que le cinéma a proposé de plus fort cette année.


4/ Spotlight


Récompensé l’année dernière des Oscars du meilleur film et du meilleur scénario original, le film de Tom McCarthy représente effectivement le cinéma américain à son meilleur. Film dossier retraçant une enquête journalistique, Spotlight est passionnant de bout en bout. D’une densité et d’une clarté admirables, ce récit inspiré d’une histoire vraie est porté par des héros ordinaires campés par des acteurs à l’engagement exceptionnel. Instructif et émouvant, le film propose une réflexion essentielle sur le fonctionnement et le rôle des médias papiers à l’ère du numérique et d’internet.


3/ La loi de la jungle


Comédie et cinéma d’auteur français faisaient décidément bon ménage cette année. Justine Triet a fait le choix de l’élégance, Antonin Peretjatko celui de la loufoquerie et de l’aventure, dans la continuité esthétique de son premier long La fille du 14 juillet. Il en résulte le film le plus jubilatoire de l’année, un hybride entre  Jean-Luc Godard, L’homme de Rio et le burlesque des ZAZ (Y a-t-il un pilote dans l’avion, Y a-t-il un flic…). En nouvelle Tarzan, Vimala Pons est tout simplement phénoménale, d’une sensualité et d’une fantaisie renversantes.


2/ Mademoiselle


Après un détour par les Etats-Unis un peu décevant, c’est avec bonheur que l’on retrouve tout le brio et la fougue artistique de Park Chan-Wook dans Mademoiselle. Le roman de l’anglaise Sarah Waters lui permet aussi de se renouveler, en proposant un drame romantique et féministe plus apaisé que sa trilogie de la vengeance. Splendeur de la mise en scène, beauté et intensité des acteurs, intrigue riche à rebondissements multiples, tout est accompli dans ce film baroque qui offre du pur plaisir cinématographique.


1/ Toni Erdmann


Sensation du dernier festival de Cannes, le film de l’allemande Maren Ade est l’expérience de cinéma la plus marquante de l’année. Rien de bien original à priori dans cette histoire de réconciliation entre un père et sa fille, et pourtant la cinéaste livre au final une œuvre imprévisible et atypique, capable de nous faire rire comme pleurer. Finement écrit et mis en scène, Toni Erdmann nous cueille petit à petit, et sa réflexion sur la nature du bonheur nous poursuit bien après que nous l’ayons vu. La réussite de ce métrage à la force discrète tient pour beaucoup à son duo d’acteurs à la palette de jeu impressionnante qui n’aurait pas volé un double prix d’interprétation.

07/01/2017

2016 en 10 films (1/2)

10 / Ce sentiment de l’été


Auteur discret, Mikhaël Hers a néanmoins fait preuve depuis une dizaine d’années d’une rare sensibilité pour filmer les états d’âme. Avec Ce sentiment de l’été, son cinéma intimiste prend une nouvelle ampleur en nous proposant de suivre ses personnages sur trois étés et trois pays. Cette temporalité du récit permet au réalisateur de traiter les thèmes du deuil et de la reconstruction avec une justesse saisissante. Anders Danielsen Lie (vu dans Oslo, 31 aout) et Judith Chemla (une des grandes découvertes de l’année, aussi à l’affiche d’Une vie) incarnent avec finesse des protagonistes auxquels on s’attache comme rarement au cinéma.


9 / Guibord s’en va-t-en guerre



Sorti sans grand bruit cet été, le film de Philippe Falardeau aurait mérité bien plus d’attention. En marchant dans les pas de Frank Capra, le cinéaste québécois signe une fable qui combine acuité satirique et profonde générosité. Les tribulations d’un ancien joueur de hockey devenu politicien indépendant et de son stagiaire haïtien ne manquent pas de fantaisie, mais posent surtout de véritables questions sur le monde de la politique. Trépidante et engagée, cette comédie savoureuse est le « feel good movie » de l’année.


8 / Victoria



Après un premier long métrage, La bataille de Solférino, dont la forme brute évoquait John Cassavetes, on ne s’attendait pas à ce que Justine Triet livre un film d’une telle classe formelle. Victoria lorgne du côté de la comédie sophistiquée à la Woody Allen ou Howard Hawks, mais dépasse au final ces illustres influences pour se lover dans un spleen au charme tenace. Portrait touchant d’une femme moderne et dynamique qui s’épuise à rechercher un épanouissement professionnel et personnel,  Victoria est d’une contemporanéité remarquable. En état de grâce, Virginie Elfira est d’une drôlerie irrésistible.


7 / Brooklyn Village



Les privilégiés de Cannes ont pu voir Après le tempête de Hirokazu Koreeda en mai dernier, mais pour le commun des cinéphiles il faudra attendre avril prochain pour découvrir cette nouvelle œuvre du plus délicat des cinéastes contemporains. Heureusement, le bouleversant Brooklyn Village d’Ira Sachs nous a permis de retrouver un peu de l’ambiance propre au cinéaste japonais. Dans un New York ensoleillé, ce récit d’une amitié naissante entre deux adolescents qui rencontre l’obstacle d’un conflit financier entre leurs deux familles propose un regard à la fois tendre et lucide sur la liberté de l’enfance et les responsabilités de l’âge adulte. Sachs se garde bien de donner raison à l’un ou à l’autre de ses personnages, et ils en gagnent une complexité et une profonde humanité. Cette pépite douce amère, servie par un casting d’exception, saura émouvoir parents comme enfants.


6 / Baccalauréat



Récompensé en 2007 de la Palme d’Or pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours, le roumain Cristian Mungiu aura du cette année se contenter d’un prix de la mise en scène partagé avec Olivier Assayas. Baccalauréat aurait tout aussi bien pu recevoir une distinction pour son scénario, tant le sujet et la forme du film sont complémentaires pour donner une des expériences cinématographiques les plus prenantes de l’année. Savamment construit, ce drame psychologique se regarde comme un film policier aux retournements de situation multiples, avec un véritable suspens quant à l’issue du récit. Tableau sans concession de la société roumaine mais aussi réflexion plus large sur les relations entre parents et enfants, Baccalauréat offre une richesse thématique admirable sans jamais perdre de sa tension dramatique.