10/10/2011

Drive : un brio écrasant

3 / 5

Fort de son accueil critique très favorable et du prix de la mise en scène qui lui a été décerné à Cannes, Drive semble prendre la route d’un succès annoncé. Cet accueil quasi-unanime est assez inhabituel pour un film revendiqué comme appartenant au cinéma de genre. Le scénario est pour le moins basique : un garagiste et cascadeur de jour, qui sert de chauffeur à des braqueurs la nuit, rencontre une voisine, Irene, qui élève son enfant seule alors que son mari se trouve en prison. Le film raconte la relation qui se noue entre ces deux personnages, leur histoire d’amour naissante jusqu’à ce que… Mais je m’arrêterai là pour ne pas dévoiler l’intrigue plus avant, de même que j’encourage vivement le lecteur à ne pas voir la bande-annonce du film qui dévoile comme souvent trop d’éléments. Même s’il serait réducteur de limiter le film de Nicolas Winding Refn à son scénario.


Dans le prolongement esthétique de son précédent film, Le guerrier silencieux, Drive est un film à la narration sobre et dépouillée, le silence prenant souvent le pas sur les dialogues entre les personnages. Ce choix de laisser parler les images plus que les mots est lié à une recherche d’épure du langage cinématographique qui est tout à l’honneur de Winding Refn, de même que l’attention qu’il apporte au son dans ses films. La scène d’ouverture de Drive en témoigne, d’une maîtrise formelle incroyable, offrant une sublime scène d’action et de suspense digne des grands polars : la mise en scène ne quitte jamais le point de vue du conducteur enfermé dans sa voiture, le monde extérieur étant perçu à travers un pare-brise ou par l’intermédiaire d’une radio branchée sur les transmissions de la police et d’un auto-radio transmettant un match de base-ball en direct. La tension produite par l’isolement dans le véhicule et le off, ce qui n’est pas montré des poursuivants, est impressionnante. L’ouverture du Guerrier silencieux faisait preuve d’une efficacité similaire, jusqu’à une explosion de violence visuellement impressionnante. Cependant, les deux films présentent pour moi le même défaut : par la suite, ils ne parviennent jamais à retrouver l’intensité de ces scènes d’origine et s’essoufflent.


Drive ne manque certes pas d’idées et de belles scènes : [spoiler] la parenthèse bucolique où le conducteur, sa voisine et son enfant trouvent le repos sur une autoroute désaffectée qui conduit à un ruisseau et à un paysage verdoyant, la scène de l’ascenseur qui fait se succéder le seul baiser du film et le meurtre brutal d’un assassin présumé, les traces des morts violentes sur le visage puis le blouson du héros, le meurtre d’un chef mafieux au bord d’une route, éclairée par les rais de lumière des phares des véhicules circulant [fin du spolier]. Le problème du film tient à ce qu’il ne semble jamais se détacher des influences qui le nourrissent, ce qui empiète sur un engagement émotionnel essentiel vis à vis des personnages. La mise en scène de Winding Refn, pour brillante qu’elle soit, évoque ainsi trop dans ses ralentis le Michael Mann de Manhunter, de même que certaines images semblent tout droit sorties d’un David Lynch (Blue Velvet ou Mulholland Drive) et que l’esthétique de la violence y évoque le Scorcese de Mean Streets ou Taxi Driver. Si la citation cinéphile peut correspondre parfaitement au cinéma outrancier de Quentin Tarantino, elle fait obstacle au minimalisme auquel un film tel que Drive semble aspirer par son dépouillement narratif. D’autre part, Drive n’est pas à l’abri de l’aspect répétitif de ses effets visuels et le caractère esthétisant du film en devient lassant.


 A la mise en scène trop soulignée de Winding Refn s’opposent la sobriété du héros du film interprété par Ryan Gosling, qui tout comme Mads Nikkelsen dans le guerrier silencieux est tel un bloc monolithique, silencieux et mystérieux. A travers ce personnage, le réalisateur tente d’atteindre une dimension mythique, qu’il évoque la figure de western de l' homme sans nom incarnée par Clint Eastwood ou l’image de James Dean, vêtu d’un jean et d’un T-shirt blanc. Malgré ce beau projet et une bonne prestation de  Gosling et de l’ensemble du casting, le film empêtré dans un esthétisme trop chargé (la musique y est également omniprésente), trop référencé, n’arrive jamais à toucher réellement. Drive est une œuvre d’une maîtrise incontestable mais qui laisse de marbre passée son ouverture brûlante d'intensité.

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