23/03/2013

A la merveille / Spring Breakers : objets formels un peu vains


 A la merveille : 2,5 / 5
 Spring Breakers : 2 / 5

Auteurs indépendants, les américains Terrence Malick et Harmony Korine se retrouvent avec leurs derniers films à un tournant de leur œuvre. Le premier, cinéaste reclus et mystérieux qui refuse d’accorder des entretiens à la presse, sort A la merveille seulement deux ans après The Tree of Life alors qu’il nous avait habitué à une attente d’au moins 5 ans entre chacun de ses métrages (20 ans de silence entre Les Moissons du ciel et La ligne rouge). Le second, à l’œuvre jusque-là plutôt confidentielle, se retrouve propulsé au premier plan médiatique avec Spring Breakers dans lequel d’anciennes égéries Disney sont transformées en nymphettes aguicheuses.  Un monde sépare les films de Malick et Korine sortis il y a  deux semaines mais ils ont en commun d’être des expériences de cinéma singulières qui échouent malheureusement à emporter l’adhésion. 


Au cœur des métrages on trouve des partis pris stylistiques forts  qui semblent diamétralement opposés au premier abord : la lumière naturelle filmée par Malick est aux antipodes des éclairages artificiels privilégiés par Korine ; l’impression de douceur esthétique d’ A la merveille contraste avec l’agressivité kitsch des images de Spring Breakers. Ces traitements visuels bien distincts sont attendus car les hésitations sentimentales et métaphysiques décrites par le film de Malick ont peu en commun avec la virée décérébrée de quatre filles en Floride que nous raconte Harmony Korine.


Un rapprochement esthétique s’opère pourtant par un recours commun à la fragmentation, avec il est vrai à la base deux conceptions bien différentes : il s’agit dans A la merveille de capter l’instant éphémère dans toute sa brièveté tandis que Spring Breakers vise  à reproduire le rythme saccadé de la musique électronique et le rap ainsi qu’à trouver un équivalent cinématographique au sampling, par des effets de répétition. Paradoxalement, l’univers sonore et musical admirable des deux films est aussi leur talon d’Achille, ce par quoi on peut pointer le problème qu’ils soulèvent : où s’arrête le récit qui fait sens et où commence le clip purement formel ?


A la merveille part d’un récit de relations sentimentales contrariées pour élargir son propos à une réflexion sur la difficulté de la foi religieuse et à une thématique de corruption de la nature à travers l’empoisonnement de sols. Si ces pistes narratives peuvent être intéressantes, elles sont malheureusement à peine traitées, et le cinéaste préfère enchaîner des scènes de couple d’un romantisme tombant souvent dans les clichés. Entre deux murmures de voix off des personnages qui errent dans les champs ou sur la plage, le regard perdu au loin sur fond de Bach, Wagner ou Dvorak, la tentation d’insérer des noms de parfum est hélas croissante au fur et à mesure que l’ennui gagne. Lorsqu’un message affleure avec un personnage d’italienne « bobo » anti-matérialiste qui jette le sac à mains de l’héroïne, on sombre dans le ridicule. Si The Tree of Life avait ses moments d’égarement (la découverte de la compassion par les dinosaures), le film était sauvé par les visions oniriques (Jessica Chastain virevoltant dans les airs ou la réunion finale des personnages sur une plage) et la matière mystérieuse et hypnotique des images du cosmos qui manquent ici cruellement. En confrontant son lyrisme au réel et au contemporain, le cinéaste se perd avec A la merveille dans une poésie banale qui ne tient que par le brio formel.


Le métrage de Terence Malick peut laisser une impression de coquille vide à son insu, Spring Breakers fait par contre de la vacuité un élément central. Les héroïnes qui décident de braquer un restaurant « comme dans un jeu vidéo » n’aspirent qu’à des bacchanales printanières dont la vulgarité confinant à l’absurde est exposée dans la vision que nous en offre le réalisateur dès les premières minutes du film. On s’attend alors que la rencontre des héroïnes avec le milieu des trafiquants de drogue en Floride soit l’occasion d’un dur retour à la réalité pour les jeunes filles bercées d’illusions : il n’en est rien et on pourrait alors saluer une certaine originalité dans le récit inventée par Korine. Pourtant Spring Breakers est finalement peu surprenant et très vite lassant, la faute à une mise en scène distanciée et à une artificialité de tous les instants. Jamais on n’est impliqué dans un récit dont les invraisemblances incessantes  nous font continuellement décrocher : une héroïne catholique pratiquante (qu’allait-elle donc chercher au « spring break », le mystère ne sera jamais vraiment éclairci) laisse ainsi un message à sa grand-mère à qui elle propose de l’accompagner l’année suivante, mais surtout la résolution du film est complètement improbable. Korine ne s’embarrasse pas d’inscrire son film dans aucune réalité ou psychologie, c’est son droit, mais Spring Breakers se limite alors à une bande d’acteurs qui font semblant, avec en premier lieu des actrices Disney qui se dévergondent très gentiment et jouent les « bitches » sans provoquer le moindre effroi chez le spectateur assoupi. 


Ni A la merveille, ni Spring Breakers ne convainquent donc dans le survol de leurs thèmes et de leurs personnages au profit de la pure forme : le montage par fragments des deux films devient alors le symbole d’une impossibilité pour le spectateur à s’impliquer dans les récits. Mais le métrage de Terrence Malick a l’avantage d’être une oeuvre sincère malgré ses nombreux défauts, tandis que le cynisme prétentieux de Harmony Korine, le mépris affiché pour ses personnages majoritairement débiles, laisse un goût très amer une fois la fantaisie pop arrivée à son terme.