28/11/2014

Hunger Games - La révolte ( partie 1 ) : images, politique et marketing

3 / 5

Depuis Harry Potter et les Reliques de la Mort on ne peut que constater la multiplication des franchises aux derniers volets découpés en deux parties. Après Twilight Révélation et avant Avengers : Infinity War annoncé pour 2018 et 2019, c’est au tour de la saga de Suzanne Collins de bénficier de ce traitement lucratif. Hunger Games – La révolte : partie 1  parvient-il à dépasser son statut d’objet marketing pour devenir un film satisfaisant ?


On retrouve asurément la production soignée des deux précédents opus dans ce troisième volet de la saga. Par rapport à Twilight, voire à Harry Potter, l’œuvre de Suzanne Collins a l’avantage de proposer une certaine complexité dans un propos plus mature, et surtout de se renouveler dans la forme des récits. Les jeux présents dans les premières parties sont ainsi absents ici, pour laisser place à un conflit entre la dictature de Panem et une résistance dont Katniss (Jennifer Lawrence) a rejoint les rangs un peu malgré elle.


La fragilité de l’héroïne, sauvée des jeux mais souffrant de la culpabilité de la survivante, sa réticence à rentrer dans la lutte sont autant d’éléments réalistes qui font rentrer le spectateur dans un film qui ne se réduit pas au grand spectacle. Par la suite, on est convaincus par la puissance morbide de la séquence où Katniss découvre un district rasé par Panem et par le fil rouge sur le mécanisme de la propagande, du côté de la dictature comme de leur opposition. Film sur le pouvoir des images, Hunger Games – La révolte prend aussi intelligemment le contrepied d’une science-fiction aux fonds numériques artificiels. Katniss est incapable de jouer la moindre émotion lorsqu’elle est dirigée comme une actrice pour une vidéo de propagande sur l’équivalent d’un fond vert, et ne peut se faire la voix sincère de la révolte que sur un champ de bataille.



Ces belles idées ne suffisent malheureusement à faire totalement remporter la mise à cet épisode. Certes le film se clôt sur un « cliffhanger » qui appelle un renversement de situation probable dans la deuxième partie de La révolte, mais on a quand même l’impression d’un récit dilaté qui traîne trop souvent inutilement. Malgré la richesse des thèmes du film, on est frustrés par un certain immobilisme d’une intrigue qui avance au rythme d’alternoiements un peu répétitifs. On est finalement décus des conséquences dramatiques mineures des emballements tant attendus du film dans les phases finales d’action.  En attendant de juger sur pièce à la sortie de la deuxième partie en fin d’année prochaine, on pourra néammoins concéder que cette saga a le mérite de présenter un contenu assez intriguant pour maintenir notre intérêt et notre anticipation intacts jusqu’à sa conclusion.

14/11/2014

A Girl at My Door : trouble féminin dans le cinéma coréen

3,5 / 5

On a beaucoup parlé du cinéma coréen depuis les années 2000, rarement de l’absence de femmes cinéastes au pays du matin calme. July Jung remédie à cette situation avec son premier film A Girl at My Door présenté cette année à Cannes dans la sélection « Un certain regard ». On retrouve à la production du long métrage l’habitué de la Croisette Lee Chang-Dong. Le réalisateur avait eu l’occasion de siéger parmi les membres du jury  en 2009 sous la présidence de Isabelle Huppert. Mais surtout ses films Secret Sunshine et Poetry y avaient reçus les honneurs, le prix d’interprétation féminine pour le premier et celui du scénario pour le second. Avec A Girl at My Door, c’est un peu un passage de flambeau qui semble s’opérer entre ce parrain à la renommée internationale et July Jung. Loin de l’image violente et baroque du cinéma coréen, dont les représentants sont Park Chan-Wok  et sa trilogie de la vengeance ou des polars oppressants tels que J’ai rencontré le diable, le film s’inscrit en effet dans la continuité stylistique sobre et intimiste des oeuvres de Lee Chang-Dong.


Il y a cependant un écho évident de la violence extrême présente dans le pan le plus connu du cinéma coréen, chez July Jung comme chez Lee Chang-Dong avant elle.  Poetry racontait comment une femme composait avec l’horreur du suicide d’une adolescente que son petit-fils avait régulièrement violé avec ses amis. Dans A Girl at My Door, la violence ordinaire et quotidienne à laquelle est soumise Dohee ne manque pas de cruauté. Victime résignée, la jeune fille reste impassible, qu’elle se fasse éclabousser par une voiture ou frapper par ses camarades. Le film s’oriente alors d’abord vers un récit avec lequel le spectateur est immédiatement en apathie, celui du sauvetage d’une enfant maltraitée par une héroïne révoltée à juste titre.


Cependant plutôt que de se limiter au cadre de ce scénario efficace mais un peu évident,  July Jung déjoue les attentes du spectateur pour faire une proposition plus retorse et intrigante.  Dès les scènes d’exposition, elle nous avait trompé en nous présentant d’abord le père et la grand-mère de Dohee sous un jour grotesque et comique, pour que l’on découvre assez vite leur face sombre au travers des punitions qu’ils infligent à la jeune fille. Alors que nous sommes prêts à soutenir le combat de Young-Nam contre ces deux figures terrifiantes, elle nous apparait bientôt comme beaucoup plus instable, alcoolique et porteuse d’un lourd secret. Dans le décor d’une campagne découverte de jour au son d’une guitare légère ou offrant le tableau paisible d’une plage au clair de lune se joue un drame torturé où les non-dits et tabous sèment le trouble dans les relations entre les personnages. Fonctionnant sur un principe de faux semblants, A Girl at My Door déroute jusqu’à une dernière partie dont la noirceur réaliste provoque un véritable malaise.


Le premier film de July Jung aurait probablement gagné à être plus ramassé. L’intrigue peine par moments à avancer et fonctionne sur un schéma un peu répétitif, avec une succession de séparations et de retrouvailles de Young-Nam et Dohee. Certains aspects  sociaux du métrage, comme l’exploitation de travailleurs immigrés, restent un peu fonctionnels dans le scénario et auraient mérité quant à eux plus de développement. Néanmoins ces quelques défauts de structure sont assez mineurs comparés à la belle intensité de jeu du casting. A travers un jeu précis tout en retenue, Doona Bae  incarne  une héroïne qui conservera sa part d’hermétisme et de secrets jusqu’au bout. Dans un registre opposé, Song Sae-Byeok est inquiétant en père alcoolique instable et imprévisible. Et la jeune Kim Sae-Ron est impressionnante de maturité dans un rôle difficile, à cause du caractère ambivalent de son personnage mais surtout des zones dérangeantes explorées par July Jung.

Interstellar : repousser les frontières du "blockbuster"

4 / 5

Christopher Nolan en a fait du chemin depuis son premier long métrage The Following, tourné il y a 15 ans avec un budget de 6000 dollars. Il y aura d’abord eu en 2000 le thriller Memento, œuvre culte à la construction narrative géniale. Et puis de façon inattendue Nolan s’est retrouvé aux manettes du « relaunch » d’une franchise Batman laissée pour morte après le consternant Batman et Robin. Succès colossal, The Dark Knight a conquis un large public qui s’est rendu compte que les « comic books » n’étaient pas réservés qu’aux adolescents attardés. Pour ma part, je reste quelque peu circonspect quant à l’enthousiasme sans bornes qu’a parfois suscité cette saga qui n’est ni plus ni moins qu’une bonne transposition au cinéma d’un univers posé ailleurs. Je n’hésiterai par contre pas à employer le terme de chef d’oeuvre pour Inception, blockbuster dont l’ambition et la maîtrise m’avaient tout simplement soufflé. La dernière heure du film reste une des expériences cinématographiques les plus mémorables de ma vie de cinéphile. Mon niveau d’attente pour Interstellar était alors proportionnel à mon admiration pour Inception. Sans faire durer le suspens plus longtemps, reconnaissons que cette odyssée interstellaire est une réussite mais n’est pas aussi emballante que la plongée de Christopher Nolan dans l’inconscient.


Interstellar a en commun avec Inception d’être un film qui se mérite. Dans le cas du dernier, on nageait en pleine confusion en rejoignant en plein milieu d’une de leurs opérations des héros qui en savaient plus long que nous et il fallait une période d’acclimatation avant de rattraper ce retard. Le démarrage un peu hésitant d’ Interstellar tient quant à lui au développement d’un drame familial spielbergien (le cinéatse était d’ailleurs à l’origine du projet qu’il devait réaliser). Sans être mauvaise, cette première partie manque de réelle originalité. Si Inception résolvait ce problème de compréhension en expliquant au fur et à mesure les règles du procédé au cœur de l’action du film, Interstellar traine tout du long l’écueil d’une partie du récit sur terre moins inspirée que ce qui se déroule du côté des étoiles. Un montage parallèle illustre bien ce problème : d’un côté l’enjeu est la survie, de l’autre il s’agit de la résolution un peu statique du mystère que renferme une chambre. La multiplication de personnages secondaires inutiles et sans relief dans la partie terrestre (Topher Grace, Casey Afleck) laisse une impression désagréable de cache-misère.


Mieux vaut donc se tourner vers l’immensité de l’espace, et de ce côté Interstellar remplit largement son contrat de spectaculaire. A condition évidemment de ne pas s’attendre à un nouveau 2001 l’odyssée de l’espace. Le film de Kubrick a révolutionné la science-fiction et a marqué durablement l’imaginaire, de la terrifiante intelligence artificielle HAL à son mystérieux monolithe central et à son trip cosmique final. 40 ans plus tard, 2001 reste une œuvre d’avant-garde stupéfiante à laquelle on se réfère à ses risques et périls. L’année dernière Gravity se détachait habilement de ce modèle de la conquête spatiale en proposant un récit tendu d’action « survival ». Interstellar choisit pour s’affranchir l’émotion, très en retrait dans le film de Kubrick et l’ensemble de son œuvre. La musique de Hans Zimmer à l’intensité crescendo (on pense à du Philip Glass) accompagne ainsi Cooper de sa séparation déchirante avec sa fille  Murphy jusqu’à  son envol assourdissant vers l’inconnu. Parmi la bande d’explorateurs, la tension dramatique tient à un conflit efficace entre l’accomplissement de leur mission guidée par les données scientifiques, et leurs émotions.


Pareils à leurs héros, les frères Nolan explorent les genres, du film catastrophe au film d’aventure, du drame intime au thriller, proposant une épopée cinématographique de 3 heures qu’on ne voit pas passer. Il y a dans Interstellar une profusion de concepts passionants, richesse mais aussi un peu limite du film. Les frères Nolan favorisent évidemment des pistes narratives à d’autres, mais le manque de développement de certaines situations créent un sentiment de frustration. Aux conflits familiaux déjà vus bien mieux traités ailleurs, on aurait ainsi préféré voir davantage les conséquences de l’écoulement relatif du temps un peu expédiées, SPOILER notamment lors des retrouvailles finales de Cooper avec sa fille devenue deux fois plus âgée que lui FIN DU SPOILER. Autre aspect frustrant de la densité thématique du film, les acteurs sont tous convaincants mais ont peu d’espace pour briller, Matthew McConaughey en premier lieu bien loin de ses dernières prestations remarquables dans Mud, Dallas Buyers Club ou la série True Detective.

Tandis qu’Inception proposait un mélange inédit au cinéma de science-fiction et de film d’espionnage, le dernier métrage de Christopher Nolan n’apporte pas grand chose de neuf pour qui a vu 2001 l’odysssée de l’espace, Solaris ou Gravity, si ce n’est le dialogue avec une intrigue terrestre hélas trop classique pour suciter un réel enthousiasme. Mais qu’on ne s’y trompe pas, malgré ses défauts, Interstellar est un des meilleurs films de cette année, ne serait-ce que par sa forme époustouflante. Christopher Nolan reste un des orfèvres les plus précieux du cinéma américain, et on ne saurait trop recommander sa dernière œuvre à tous ceux en recherche d’émotions fortes dans les salles obscures.