24/02/2015

Jupiter - Le destin de l'Univers : un joyeux bordel de luxe

3 / 5

Fin des années 90, on attendait plus grand chose des films d'action dont l'âge d'or semblait révolu. Aux francs tireurs brillants qu'étaient John McTiernan et Paul Verhoeven avait succédé un Michael Bay élevé avec MTV. Le genre de la science-fiction, s'il n'avait rien perdu de son intelligence comme le prouvaient des films comme Dark City et Bienvenue à Gattaca, était réservé à  un public initié. C'est dans ce contexte qu'arriva sans qu'on s'y attende Matrix, coup de génie précurseur des adaptations super-héroïques qui allaient régner sur  les écrans depuis les années 2000 jusqu'à aujourd'hui. Les Wachowski s'étaient depuis un peu fourvoyés avec deux suites médiocres à ce premier opus culte, mais après leur dernier né Cloud Atlas à l'ambition et à la maîtrise bluffantes tout était pardonné. A l'heure des adaptations, remakes et reboots, le double statut d'œuvre originale et de « space opera » de Jupiter   : le destin de l'Univers était alléchant.


Dès les origines de l'héroïne Jupiter en prélude, le spectateur est plongé dans un univers entre « pulp » et « comic book ». La mort de son père alors qu'il essaie de protéger son télescope est dans la droite lignée de celles du couple Wayne ou de Ben Parker. Les Wachowki s'embarrassent peu de réalisme pour poser assez vite un personnage classique mais efficace de jeune femme rêvant à une autre vie que son quotidien de femme de ménage récurant  les toilettes.


Cependant, à peine sommes nous introduits à la protagoniste que nous sommes déjà transportés sur une lointaine planète, où de mystérieux extraterrestres conversent de « moissons ». Après un bref retour sur le quotidien de Jupiter, on découvre bientôt des chasseurs de prime sortis de nulle part qui s'affrontent dans une ruelle, visiblement à la recherche de la jeune femme. On voit bien que les Wachowski cherchent à reprendre la recette de l'introduction de Matrix où planait un mystère autour des personnages qui entouraient le héros. Le problème c'est qu'ici ressort dès les premières minutes une impression de fourre-tout confus, aussi bien dans le récit que dans la forme.


La présence de Terry Gilliam, d’abord dans l’esprit avec une séquence qui évoque la bureaucratie absurde de Brazil puis en tant que cameo maquillé, invite au parallèle avec l’œuvre de ce cinéaste maudit. Si les films de Gilliam sont pour la plupart aboutis dans leur direction artistique, leur structure narrative est souvent trop lâche, faisant passer le spectateur d’un tableau à un autre sans une réelle progression dramatique. Jupiter : le destin de l'Univers souffre de ce même écueil, nous faisant voyager de planète en planète sans prendre le temps de poser de façon satisfaisante les personnages et enjeux. Autre filiation avec Gilliam, on retrouve chez les Wachowski un même sens du kitsch et de l’excès d’abord réjouissant et épuisant avec un effet WTF garanti.


Avec plus de deux heures de grand spectacle baroque, on ne peut nier que Jupiter : le destin de l'Univers est un « blockbuster » à l'esprit généreux. Mais une fois la fantaisie passée sans ennui il n’en reste hélas pas grand chose. A l’exception d’un constat cinglant. Si les acteurs sont plutôt convaincants dans l’ensemble, Eddie Redmayne donne l’interprétation la plus outrée et ridicule d’un méchant vue sur les écrans depuis bien longtemps, qui lui vaudrait bien un Razzie Award en plus de son Golden Globe et de son Oscar.

15/02/2015

It Follows : horreur et adolescence

3,5 / 5

Quel mal se tapit derrière le décor paisible d’une banlieue pavillonnaire américaine ? C’est la question que se posait David Lynch dans Blue Velvet. La victime Isabella Rossellini y faisait irruption nue sur la pelouse d’une maison et rompait la tranquillité. Dans une rupture similaire, It Follows s’ouvre sur la sortie soudaine d’une jeune fille à peine habillée au crépuscule. L’hypothèse d’une violence domestique est vite écartée, le père ébahi et soucieux laissant partir  sans réagir sa fille qui semble fuir une présence invisible. La scène, filmée en un plan, est captée par une caméra mobile, comme mue par une conscience que la musique rend inquiétante. La jeune fille tétanisée s’isole sur une plage, et après une ellipse brutale on découvre au petit matin le tableau macabre de son corps démembré.


La sauvagerie de cette image en clôture de prologue va hanter le long métrage de David Robert Mitchell, qui n’a par ailleurs que peu recours à de telles explosions de violence. Le réalisateur préfère jouer d’une suggestion malaisante. Le « it » ou « ça » en français qui poursuit les personnages, comme le mal surnaturel chez Lynch, ne sera jamais pleinement explicité. Il est protéiforme et ses motivations comme sa nature resteront en partie obscures. Cette présence a quelque chose de l’inquiétante étrangeté freudienne, et elle emprunte d’ailleurs volontiers la forme familière d’un proche pour s’attaquer à ses proies.

Etrange et intriguant, It Follows l’est aussi par la forme. Le film s’inscrit à un croisement stylistique stimulant entre Virgin Suicides et le cinéma de John Carpenter. Du côté de Sofia Coppola, le métrage nous raconte les premiers émois sentimentaux et sexuels de l’héroïne Jay et de la bande qui l’entoure dans une ambiance éthérée à la douceur mélancolique que l’on retrouvait dans le premier long métrage de Mitchell, The Myth of the American Sleepover : la légende des soirées pyjamas. Mais la caméra qui semble traquer les personnages, le thème de la contamination du mal et la musique aux synthés minimalistes de Disasterpeace évoquent sans détours l’auteur de Halloween et The Thing. It Follows renoue même avec la dimension politique de l’œuvre de Carpenter en laissant apercevoir à nouveau, après Only Lovers Left Alive l’année dernière, la désolation des quartiers les plus pauvres de Détroit.



Au-delà de ses multiples références cinématographiques habilement digérées qui le rendent passionnant, It Follows s’offre comme une quintessence du cinéma d’horreur fantastique dont on ne s’étonne pas qu’elle ait séduit le jury président par Christophe Gans au festival de Gérardmer qui lui a décerné son Grand Prix. Le film de David Robert Mitchell applique finalement de manière littérale la dualité qui sous-tend une grande partie de ce genre, celle qui lie intimement le sexe et la mort. Cependant nul voyeurisme à outrance ici mais plutôt le portrait intimiste et juste d’une bande de jeunes adultes qui sonnent authentiques, interprétés par un casting attachant. Alternant scènes de suspens à la mise en scène efficace et pauses intimistes qui nous renvoient à nos hésitations de la fin de l’adolescence, It Follows convainc sur les deux tableaux et réussit au final l’exploit peu commun d’être à la fois terrifiant et touchant.

14/02/2015

Foxcatcher : du fait divers à la fable fascinante sur l' Amérique

4 / 5

Prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes, Foxcatcher parvient à transcender son simple statut de film tiré d’une histoire vraie. Alors que l’on pouvait craindre la reconstitution intéressante mais peu cinématographique d’un fait divers, Bennet Miller emmène son métrage vers un autre horizon en cultivant le mystère. Au final, on en ressort avec l’impression d’avoir vu se dérouler devant nos yeux une fable d’essence américaine.


Foxcatcher commence après une « success story », celle des frères Schultz médaillés d’or en 1984, et nous dévoile l’envers peu reluisant d’une gloire éphémère. Mark Schultz (Channing Tatum) semble en effet peiner à tirer un quelconque profit d’une victoire dont on comprend vite qu’elle lui est assez peu attribuée. Tête pensante de la fratrie, Dave Schultz (Mark Ruffalo) gère quant à lui sa carrière de coach tout en tenant son rôle de père de famille. La tension faite de non-dits dans la relation entre les deux frères est vite palpable dans une scène de corps à corps vertigineux, entre l’embrassade fraternelle et le combat agressif. Plutôt que d’expliciter lourdement la psychologie des acteurs du drame, l’intelligence de Bennet Miller est de choisir tout au long du film de concrétiser les rapports complexes qui se tissent entre ses personnages dans des gestes ambivalents qu’il laisse le spectateur interpréter à sa guise.

Foxcatcher saisit par le traitement physique surréaliste de son trio de personnages principaux. Peu à peu semble en effet s’établir une curieuse galerie de personnages animaux : la démarche bovine du massif Mark Schultz s’oppose à l’agilité simiesque de Dave ; quant au milliardaire John du Pont (Steve Carrel), ornithologue amateur, sa posture et son nez proéminent ont tout de l’aigle auquel il se plaît à  se comparer. Cette référence à des animalités étrangères fait basculer le film du côté du fantastique.


La propriété de John du Pont, perdue dans les brumes du petit matin, a quelque chose du manoir hanté, habité par la gloire passée d'une haute lignée dont John est le descendant grotesque. Son pouvoir n'est qu'illusoire, acheté à grands coups de fortune familiale. Organisé autour de cette figure bouffonne et vampirique, le film oscille de façon indéterminée entre comique et tragique, suscitant un effet de malaise et de tension constante. Ainsi, alors que John prépare Mark au discours par lequel le lutteur va se placer de façon funeste sous la coupe du milliardaire, la répétition mécanique d’une série de mots perd son sens pour devenir une formule ridicule.


Foxcatcher est donc une farce tragique, alternant par ailleurs moments de bravoure de mise en scène physique avec des séquences de lutte impressionnantes de réalisme, et pauses oniriques. Bennet Miller joue de la rencontre de ces contrastes pour dénoncer le cynisme de l’Amérique des années Reagan. Ce n’est pas sans raison que le métrage se finit sur les mots « USA » scandés par une foule en délire qui résonne comme un coup de grâce après le tableau noir d’une société en perte de valeurs morales, où l’argent peut permettre de s’offrir une « success story » à l’artificialité dangereuse. Œuvre ambitieuse aux niveaux de lecture multiples, Foxcatcher est sans conteste le film américain le plus fascinant de ce début d’année.